Normes sur le nickel : le fondement scientifique se heurte à l’intérêt politico-économique et aux croyances populaires
Slavko Sebez, impliqué comme représentant de la Santé publique de la Capitale-Nationale dès le début du dossier lié à la présence de poussières de nickel dans l’air ambiant à Limoilou, souhaitait une « réconciliation des parties opposées ». Il signe le texte qui suit.
Dans un article publié le 19 janvier dernier dans le Journal de Québec, le ministre de l’Environnement s’est engagé publiquement à « s’en remettre à la science et à la Santé publique pour permettre bientôt d’augmenter sensiblement le seuil d’émission de nickel dans l’air » [1].
Est-ce qu’on peut espérer que finalement, la science va primer sur les enjeux politico-économiques et/ou les résultats de sondage d’opinion publique? Nous avons un certain doute, compte tenu que le ministère de l’Environnement n’a pas fait preuve d’une grande écoute dans le passé.
Nous tenons à préciser que le ministère de l’Environnement a « fait cavalier seul » lors d’ajustement de la norme sur le nickel en décembre 2013 [2]. Effectivement, le 24 octobre 2013, la Santé publique a proposé, entre autres, au ministère de l’Environnement une norme journalière de 60 ng/m3 pour les PM10 et une norme annuelle de 12 ng/m3pour les PM10 sur le nickel.
Dans l’élaboration de la norme, la Santé publique a proposé d’abaisser 100 fois la norme journalière de 6 000 ng/m3(6 µg/m3) qui était en vigueur depuis 2011, en appliquant un facteur de sécurité de 100 sur la valeur toxicologique de référence (VTR) pour une exposition aiguë par inhalation [3].
En ce qui concerne la norme annuelle de 12 ng/m3, la Santé publique considérait que ce seuil proposé est plus que suffisant pour bien protéger la santé humaine. En effet, la valeur toxicologique de référence (VTR) pour le nickel proposée par l’OEHHA est de 14 ng/m3pour une exposition de 70 ans [4].
Également, la Santé publique a proposé les normes pour le nickel dans le PST (particules en suspension totales) visant la prévention des allergies cutanées chez les personnes hypersensibles au nickel (ex. dermatite de contact allergique). Rappelons que les résultats d’échantillonnage du nickel (2 avril 2010 au 28 mars 2012) à Limoilou révèlent que les particules respirables représentent entre 26 % et 48 % des particules totales de nickel mesurées [5].
Donc, les particules grossières de 10 à 150 µm représentent jusqu’à deux tiers (2/3) de la masse prélevée. Donc, si les PST de nickel ne sont pas réglementées ni mesurées, cela présente un défaut majeur.
Malheureusement, le ministère de l’Environnement a imposé en décembre 2013, sans concertation ni consultation avec la Santé publique, une seule norme journalière pour le nickel mesurée dans les PM10 de 14 ng/m3. Rappelons que cette valeur correspond à la valeur seuil proposée par l’OEHHA pour une exposition de 70 ans. De plus, le ministère de l’Environnement a affirmé que la norme pour le nickel a été révisée pour protéger la population exposée à des particules de nickel dans l’air « contre un effet aigu », c.-à-d. affaiblissement de la défense immunitaire et susceptibilité accrue aux infections respiratoire [6].
Cependant, selon l’Avis complémentaire de santé publique :
« Les valeurs mesurées en 2014 à Limoilou sont de 160 à 1 000 fois inférieures aux concentrations auxquelles les effets d’une exposition aigüe au nickel ont été observés dans les études. » (page 22)
Rappelons que la concentration moyenne de nickel dans l’air à Limoilou en 2014 était de 16 ng/m3dans les PM10 (Tableau II, page 21) [7].
Il semble que l’intention du ministère de l’Environnement était d’établir une norme trop sévère pour satisfaire l’opinion publique à la suite de la crise médiatique créée par la « poussière de nickel dans Limoilou ». Effectivement, la crise de nickel a occasionné la création d’un mouvement citoyen Vigilance Port de Québec dans le secteur Limoilou [8], qui a mené plusieurs actions pour dénoncer le problème de la « contamination ».
Finalement, en 2018, les scientifiques du Département de santé environnementale et santé au travail proposent un objectif (valeur cible) à ne pas dépasser pour le nickel de 40 ng/m3 pour toute mesure sur 24 heures afin de « prévenir les effets respiratoires chez les individus sensibles reliés à des expositions transitoires [9] ». Cependant, les auteurs n’expliquent pas comment ils sont arrivés à fixer la valeur cible pour nickel à 40 ng/m3. Effectivement, les auteurs de l’étude affirment :
« Selon la Loi de Haber, pour une exposition plus courte et donc des pics d’exposition, on peut s’attendre à ce qu’une concentration plus élevée soit nécessaire pour causer un effet inflammatoire. Toutefois, il est difficile à partir des données disponibles d’estimer ce facteur pour transposer une concentration associée à une inflammation active lors d’une exposition répétée ou chronique à une concentration associée à une inflammation lors d’une exposition aiguë ou court terme. »
Troisième ajustement de norme pour le nickel au cours des huit dernières années
À la suite des travaux du Comité interministériel d’examen de la norme sur le nickel, le gouvernement du Québec annonce qu’il déposera prochainement un projet de règlement visant un ajustement de la norme sur le nickel [10]. Les modifications proposées permettraient de réviser à la hausse la norme journalière de nickel actuelle en faveur d’une norme de 70 ng/m3 (nano grammes par mètre cube) et d’ajouter une norme annuelle de 20 ng/m3.
Rappelons qu’avant le 11 décembre 2013, les valeurs limites pour le nickel mesurées dans les particules en suspension totales (PST) dans l’atmosphère étaient de :
- 6 μg/m3 (6 000 ng/m3) pour 1 heure;
- et 0,012 μg/m3 (12 ng/m3) pour 1 an [11]
Depuis le 11 décembre 2013, il n’y a plus qu’une seule norme pour le nickel (mesurée dans les PM, soit 0,014 μg/m3 14 ng/m3) pour 24 heures [12].
Donc, la nouvelle norme journalière de nickel sera 5 fois plus élevée que celle adoptée en 2013. Pour sa part, la nouvelle norme annuelle est presque deux fois plus élevée que la norme initiale de 2011.
On constate également que les normes proposées par le MELCC sont similaires à celles en vigueur en Ontario ou en Alberta. Toutefois, il faudra se questionner sur la méthodologie utilisée pour établir les critères en Ontario ou en Alberta pour le nickel.
Somme toute, on constate que la nouvelle norme journalière de nickel de 0,07 µg/m3(70 ng/m3) dépasse la valeur toxicologique de référence de 0,06 µg/m3(60 ng/m3) pour le nickel pour 8 h d’exposition proposée par l’OEHHA.
Malgré cela, dans son communiqué le gouvernement du Québec affirme :
« Ces modifications permettront d’actualiser la norme basée sur les meilleures données et pratiques scientifiques […] afin d’avoir les mêmes standards rigoureux qu’en Europe ainsi qu’ailleurs au Canada, notamment en Ontario [16] ».
Conclusion
Nous tenons à souligner que la problématique du nickel fait les manchettes des journaux à Québec depuis plus de huit ans. Les dépassements de critères et de normes en matière de qualité de l’air suscitent des craintes chez la population quant aux conséquences potentielles sur la santé. Effectivement, la situation dans le secteur de Limoilou est perçue par la population comme une catastrophe environnementale et a créé une anxiété collective cultivée par les médias sociaux et divers représentants politiques.
On peut constater qu’une révision à la hausse de la norme suscite grande inquiétude de la part de la population exposée. Pour sa part, l’implantation d’une norme arbitrairement trop sévère a engendré des conflits sociaux perturbants et a eu des conséquences néfastes pour l’industrie minière.
Manifestement, un troisième ajustement de norme pour le nickel au cours des huit dernières années (abaissement de la norme initiale suivi par rehaussement de la norme révisée) confirme que le fondement scientifique se heurte souvent à l’intérêt politico-économique et aux croyances populaires.
Ce cafouillage aurait pu être évité si le gouvernement avait assuré l’implication des experts indépendants et la participation directe de la population dans la prise de décision lors d’ajustement de la norme pour le nickel. Rappelons que le député de Jean-Lesage, Sol Zanetti, a proposé récemment un projet de loi visant à « remettre la qualité de l’air entre les mains des experts et de la population » et établir un poste de « vérificateur de la qualité de l’air », qui pourrait, entre autres, « vérifier si nos normes sont assez sévères au Québec » [17].
Également, il est déplorable que les professionnels de Santé publique soient exposés aux pressions politiques dans l’exercice de ces fonctions.
Les professionnels de Santé publique doivent préserver leur autonomie professionnelle.
Slavko Sebez, M. Sc. Santé Communautaire
[1] Journal de Québec, Nickel dans l’air: Québec écoute la science, dit le ministre de l’Environnement, 19 janvier 2022
[2] Le Soleil, Nouvelles normes sur le nickel: la Santé publique avait des réserves, 26 août 2014. https://www.lesoleil.com/2014/08/26/nouvelles-normes-sur-le-nickel-la-sante-publique-avait-des-reserves e4096d1452b6206405f883bae38b44a9
[3] INERIS, Point sur les Valeurs Toxicologiques de Référence (VTR), mars 2009
[4] OFFICE OF ENVIRONMENTAL HEALTH HAZARD ASSESSMENT
[5] Avis de santé publique, Contamination atmosphérique dans l’arrondissement la Cité-Limoilou : la question du nickel, Direction régionale de santé publique de l’Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale, avril 2013
[6] Le Journal du Québec, Le nickel plus dangereux que prévu, 18 décembre 2013
[7] Contamination environnementale dans le quartier Limoilou – Le nickel, Avis complémentaire de santé publique, Direction de santé publique, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale, Septembre 2015
[8] Page Web de l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec
[9] Revue toxicologique de l’encadrement réglementaire de l’industrie du nickel pour le volet air ambiant, Sommaire exécutif scientifique, Décembre 2018. https://www.environnement.gouv.qc.ca/air/nickel/revue-toxico-encadrement-reglementaire-nickel air-ambiant-sommaire.pdf
[10] Le Lézard, le 30 mars 2021 /CNW Telbec/
[11] Avis de santé publique, LA QUESTION DU NICKEL, avril 2013
[12] Gazette officielle du Québec, 3 juillet 2013, 14 5e année, no 27, Loi sur la qualité de l’environnement (chapitre Q-2), Assainissement de l’atmosphère, Modification.
[13] ONTARIO’S AMBIENT AIR QUALITY CRITERIA, ONTARIO MINISTRY of the ENVIRONMENT, April 2012.
[14] Alberta Ambient Air Quality Objectives and Guidelines, Summary Issued August 2013
[15] OFFICE OF ENVIRONMENTAL HEALTH HAZARD ASSESSMENT (OEHHA), Notice of Adoption of Revised Reference Exposure Levels For Nickel And Nickel Compounds [03/23/12]
[16] Radio Canada, Norme sur le nickel : le gouvernement permettra cinq fois plus d’émissions, 16 décembre 2021
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