La Table citoyenne Littoral Est mène depuis 2019 une démarche pour proposer une vision citoyenne du développement du secteur Littoral Est. En réaction au déploiement des 23 zones d’innovation longeant la vallée du Saint-Laurent par la Coalition Avenir Québec (CAQ), l'analyse suivante a émergé du travail de mobilisation de la Table.
Québec inc. 2.0
La Table citoyenne Littoral Est mène depuis 2019 une démarche pour proposer une vision citoyenne du développement du secteur Littoral Est. En réaction au déploiement des 23 zones d’innovation longeant la vallée du Saint-Laurent par la Coalition Avenir Québec (CAQ), l’analyse suivante a émergé du travail de mobilisation de la Table.
Masquées par la couverture médiatique de la COVID-19, des mutations sociopolitiques et territoriales s’opèrent sans discussion : le Québec, comme l’ensemble des pays industrialisés, se numérise à une vitesse fulgurante et passe à l’ère des technologies de surveillance. À ce jour, 23 « zones d’innovation » se déploient sur le territoire québécois. Loin des projecteurs, la CAQ appuie sur l’accélérateur et implante une version numérique du rêve que poursuit François Legault depuis 2013 : le « Projet Saint-Laurent » ¹.
Récemment, Jonathan Durand Folco, professeur à l’Université Saint-Paul, qualifiait cette numérisation du Québec de « siliconisation de la vallée du Saint-Laurent ». Cette allusion à la Silicon Valley, ou encore au Sidewalk Labs de Toronto, illustre bien l’influence des GAFAM dans la logique organisationnelle des espaces industriels 2.0 que sont les « zones d’innovation ». Et c’est en observant les détails d’une de ces zones qu’on saisit l’essence des mutations techno-industrielles qui s’opèrent au Québec et ce qui les rapproche de la mégalomanie des GAFAM.
Dans les « perspectives d’avenir » de la « Zone d’innovation Littoral Est » ² qu’impose la Ville de Québec aux résidants du quartier Maizerets, on peut lire les énoncés suivants : « surveillance des comportements des consommateurs en temps de restrictions »; « accroissement analytique des données massives »; « laboratoire d’expérimentation des technologies 5G »; « zone surveillée en continu et connectée » et « implication citoyenne éthique ».
On peut dès lors s’interroger : pourquoi cet engouement pour les technologies de l’information? Qui sera responsable de définir « l’éthique » derrière leur utilisation? À quelles fins seront récoltées et utilisées les données? Qu’est-ce que tout cela implique pour les communautés locales?
On obtient quelques éléments de réponse dans les documents d’appel ³ à projets du gouvernement Legault. En ce sens, les « Zones d’innovation » ont pour objectif premier de stimuler le déploiement des hautes technologies et « d’attirer des investissements pour la croissance et la hausse de la productivité des entreprises. »
D’un point de vue formel et urbanistique, elles comptent « sur la présence d’infrastructures telles que des zones industrialo-portuaires, des pôles logistiques, des parcs technologiques et des parcs industriels ». Par exemple, à Québec, le Port de Québec et son projet de terminal à conteneurs Laurentia se trouve au coeur de la « Zone d’innovation Littoral Est ». Et l’importance qu’accorde la CAQ à ces « zones d’innovation » pourrait difficilement être mieux exprimée qu’avec la mise en relation du tramway et du 3e lien qui relierait Québec à Lévis, cette dernière prévoyant aussi miser sur l’innovation pour « relancer son économie ».
De plus, l’organisation de ces nouveaux territoires techno-industriels serait entièrement dictée par un « conseil d’administration majoritairement constitué de représentants d’entreprises et sous la présidence d’un représentant du milieu des affaires de la région ».
On devine dès lors que le déploiement des « zones d’innovation » au Québec est une nouvelle forme de privatisation de la vallée du Saint-Laurent basée sur la collecte de données massives, or numérique du XXIe siècle. En fait, on implante des zones surveillées sur le territoire afin de permettre une collecte maximale d’informations par des entreprises privées pour mieux comprendre, prédire et influencer le comportement des individus à des fins de marchandisation et de contrôle.
Dans ce contexte, il semble tout à fait légitime de douter de l’éthique motivant le déploiement des « zones d’innovation », surtout en sachant que le ministre responsable de ces projets est Pierre Fitzgibbon; ce même ministre qui veille, entre autres, à la commercialisation des données publiques de la RAMQ et la privatisation du « Panier Bleu ».
Mais tandis que s’opère cette siliconisation de la vallée du Saint-Laurent, un élément devient encore plus frappant : le gouffre qui sépare les mentalités caquistes, colonisées par l’économie marchande, des réalités bioclimatiques liées aux effondrements écosystémiques planétaires (perte massive de biodiversité, appauvrissement généralisé des sols, réchauffement climatique, montée des eaux, etc.)
En ce sens, les mutations techno-industrielles promues par la CAQ exacerbent les logiques du capitalisme néolibéral : extraction et mobilisation de métaux rares nécessaires à la fabrication des hautes technologies, destruction des sols, spécialisation et hiérarchisation du travail, dépendance aux dynamiques impérialistes de la mondialisation, privatisation et métropolisation du territoire (urbanisation, spéculation et gentrification), déterritorialisation des pratiques culturelles (renforcement de l’emprise des écrans) et consommation massive d’énergie.
Il semble donc essentiel, au moment où émergent ces grandes mutations et où s’effondrent, simultanément, les écosystèmes qui supportent la vie sur terre, de nous interroger sur les conditions territoriales que nous léguerons aux générations suivantes.
À Québec, depuis 2019, la Table citoyenne Littoral Est milite pour un littoral citoyen et propose, en opposition à ce déploiement techno-capitaliste, une perspective territoriale respectueuse des réalités sociales et bioclimatiques : renaturalisation des berges du Saint-Laurent, création de corridors écologiques (verts, bleus, bruns, noirs), espaces de permaculture et d’agroforesterie, reterritorialisation des pratiques culturelles (artisanat et savoirs traditionnels), renforcement des communs dédiés au soin, au partage et à la collaboration, gouvernance citoyenne, mobilité active et collective, fiducie foncière d’utilité sociale et écologique, accès au logement pour tous, etc.
Dans ce moment charnière de l’occupation territoriale et de sa planification, une question fondamentale doit être au coeur de nos décisions : « Que souhaitons-nous léguer aux générations futures : des territoires surveillés et hyper-connectés ou des écosystèmes régénérés? »
Simon Parent, Table citoyenne Littoral Est
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¹ Les Affaires. 2020. Des zones porteuses pour le Québec. En ligne : https://www.lesaffaires.com/dossier/specialinnovation/des-zones-porteuses-d-avenir-pour-le-quebec/621789
² Ville de Québec. 2020. Projet de Zone d’innovation Littoral Est. En ligne :
https://www.ville.quebec.qc.ca/apropos/planification-orientations/amenagement_urbain/grands_projets_urbains/zoneinnovation-littoral-est/docs/projet-de-zone-d-innovation-littoral-est.pdf
³ Ministère de l’économie et de l’innovation. 2020. Guide de présentation d’un projet de Zone d’innovation. En ligne : https://www.economie.gouv.qc.ca/fileadmin/contenu/documents_soutien/zones_innovation/guide_projet_zones_innovation.pdf
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