Décision d’Ottawa sur le projet Laurentia : Un autre 40 ans? Non merci!

Jean Lacoursière, administrateur d'Accès Saint-Laurent Beauport, a rédigé le texte suivant dans l'anticipation de la décision imminente du ministre de l’Environnement fédéral quant au projet Laurentia.

Décision d’Ottawa sur le projet Laurentia : Un autre 40 ans? Non merci! | 17 mai 2021 | Article par Monquartier

Vue vers la Baie de Beauport, depuis l’Observatoire de la Capitale, en 2017.

Crédit photo: Jean Cazes

Jean Lacoursière, administrateur d’Accès Saint-Laurent Beauport, a rédigé le texte suivant dans l’anticipation de la décision imminente du ministre de l’Environnement fédéral quant au projet Laurentia.

L’AÉIC remettra sous peu son rapport final d’évaluation du projet Laurentia au ministre de l’Environnement fédéral. La décision du ministre est attendue au plus tard le 10 juin prochain.

L’idée folle de remblayer le fleuve dans la baie de Beauport pour agrandir le port de Québec existe depuis 1978. En 2020, dans le document Raison d’être du projet Laurentia que l’Administration portuaire de Québec (APQ) a remis à l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AÉIC), on peut lire ceci :

« Comme le mentionne le plan d’utilisation des sols adopté en 2001, un agrandissement est prévu afin de permettre de nouvelles activités portuaires comme celles du projet Laurentia. »

L’APQ fonde donc la légitimité de son projet d’expansion par remblayage du fleuve à Beauport sur la mention de ce projet dans un plan d’utilisation des sols (ci-après : « plan ») datant de 2001. Comment cette expansion s’est-elle retrouvée dans le plan? Quelles en seront les conséquences une fois la décision du fédéral prise au sujet de Laurentia?

Le 1er mai 1999, l’APQ se voyait dotée de lettres patentes faisant d’elle une administration portuaire canadienne au sens de la Loi maritime du Canada (LMC) promulguée en juin 1998. Selon la LMC, l’APQ devait, dans les douze mois suivant la délivrance de ses lettres patentes, avoir produit

« […] un plan détaillé d’utilisation des sols faisant état des objectifs et politiques établis pour l’aménagement physique des immeubles et des biens réels dont la gestion leur est confiée ou qu’elles occupent ou détiennent, compte tenu des facteurs d’ordre social, économique et environnemental applicables et des règlements de zonage qui s’appliquent aux sols avoisinants. »

Clairement, la LMC dit que le plan doit tenir compte des avis et de la vie des gens qui habitent autour du port.

Toujours en vertu de la LMC, l’APQ organisa à l’automne 2000 des réunions publiques où les gens pouvaient lui faire part de leurs observations sur l’ébauche de son plan, laquelle prévoyait un agrandissement de la péninsule de Beauport, une idée qui suscitait énormément d’opposition de la part des citoyens depuis la fin des années 1970. L’APQ connaissait l’impopularité de ce projet qui se manifesta vivement lors des réunions publiques. L’APQ choisit néanmoins d’ignorer les aspirations de la collectivité locale et de conserver l’agrandissement dans la version finale de son plan. L’APQ invoqua une autorisation environnementale fédérale obtenue 16 ans plus tôt :

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« […] l’APQ dispose depuis 1985 d’une autorisation environnementale pour réaliser l’extension de la péninsule selon un périmètre final de 42,5 hectares additionnels au secteur portuaire de Beauport. »

En 2001, l’APQ s’est donc servi de l’autorisation fédérale de 1985 pour légitimer l’inclusion, dans son plan, d’une expansion à même le fleuve à Beauport. Aujourd’hui, l’APQ légitime Laurentia en rappelant que cette expansion péninsulaire fait partie… de son plan adopté en 2001. Or, cette légitimité ne tient plus. En effet, l’enclenchement en août 2015 du processus d’évaluation environnementale du projet Beauport 2020 (devenu Laurentia) a signifié la mise au rebus de l’autorisation de 1985. Le plan de 2001 ne peut donc plus être invoqué aujourd’hui pour légitimer Laurentia, car le plan fondait la légitimité d’un tel projet sur l’autorisation de 1985. L’APQ était d’ailleurs consciente de l’éventuelle caducité de l’autorisation de 1985. Dans son plan de 2001, elle écrivait :

« […] même si l’autorisation de 1985 est éventuellement déclarée caduque, l’APQ peut choisir […] de soumettre un projet révisé à un nouveau processus d’évaluation environnementale à un moment qu’elle jugera opportun. »

C’est ce qu’elle fit en 2015 auprès de l’AÉIC.

L’AÉIC remettra sous peu son rapport final d’évaluation du projet Laurentia au ministre de l’Environnement fédéral. La décision du ministre est attendue au plus tard le 10 juin prochain.

La pire chose qui pourrait arriver pour la faune aquatique (comme le bar rayé), pour les accès publics au fleuve et pour la qualité de vie des gens de Québec, serait évidemment que le ministre autorise le projet et que le fédéral le subventionne. L’APQ a demandé une contribution de 180 M$ aux gouvernements fédéral (50 %) et québécois (50 %). Le processus d’évaluation pour la subvention fédérale tiendra compte des impacts économiques potentiels du projet sur les corridors commerciaux et du résultat de l’évaluation environnementale. Sans aide fédérale, il serait surprenant que Québec y mette de l’argent, ce serait vraiment le comble.

La deuxième pire chose qui pourrait arriver serait une décision fédérale en forme de oui-mais, un découpage de poire en deux malheureusement trop familier qui garderait en vie un projet dont les gens ne veulent pas et contre lequel la lutte devient ridiculement longue. Par exemple, le ministre fédéral autoriserait le projet Laurentia (« oui ») sans le subventionner (« mais »). Le projet d’agrandissement péninsulaire resterait donc en vie grâce à une nouvelle autorisation environnementale fédérale, sa réalisation n’attendant que les deniers manquants durant 5, 10, voire 30 ans. Après tout, cela fait déjà 43 ans que le Port de Québec épuise la population et tient en otage la baie de Beauport avec ses lubies expansionnistes.

Ce projet est une épée de Damoclès freinant un développement récréotouristique, écologique et humain du littoral est de Québec. Ce développement pourrait advenir grâce à des investissements similaires à ceux dont a bénéficié le littoral ouest de la ville, où le potentiel récréotouristique y est pourtant inférieur au littoral est, qui n’est pas coincé aux pieds d’une falaise et qui fait face à une sorte d’immense lac urbain entre la plage de Beauport et la chute Montmorency.

En terminant, il est crucial de rappeler que l’APQ n’a jamais mis à jour son plan depuis son adoption controversée en 2001, chose qu’elle s’était pourtant engagée à faire tous les cinq ans, tel que mentionné dans le plan lui-même :

« […] l’APQ doit prendre en compte les préoccupations locales et régionales dans ses prises de décision. En ce sens, les municipalités sont des interlocuteurs privilégiés afin d’évaluer l’acceptation sociale des divers projets à l’étude sur les propriétés de l’APQ. Pour son volet de planification d’ensemble, la planification globale s’effectue dans le cadre de la préparation quinquennale du plan d’utilisation des sols. […] l’APQ préconise une démarche qui implique des intervenants du milieu à chaque étape majeure de la préparation de ce plan d’utilisation des sols. L’APQ entend répéter cette démarche de consultation élargie lors du prochain exercice de révision de son Plan d’utilisation des sols. »

Advenant le scénario le plus probable d’un refus par le ministre de l’Environnement fédéral d’autoriser Laurentia, l’APQ aura-t-elle le courage de consulter en bonne et due forme la population et de mettre à jour son plan d’utilisation des sols, ce qui serait une première depuis son adoption initiale en 2001? L’APQ a-t-elle une parole?

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