Gilles Simard dévoile sans tabou une autre tranche de vie « pas ordinaire », à peine romancée. Elle se déroule au début des années 1980 dans la basse-ville qu'il adore toujours. Nous avons pu nous entretenir avec lui de son second livre, Basse-Ville blues, à quelques jours du lancement.
Basse-Ville blues : « road trip » dans les années 1980
Gilles Simard dévoile sans tabou une autre tranche de vie « pas ordinaire », à peine romancée. Elle se déroule au début des années 1980 dans la basse-ville qu’il adore toujours. Nous avons pu nous entretenir avec lui de son second livre, Basse-Ville blues, à quelques jours du lancement.
Après avoir grandi à Lac-Beauport, Gilles Simard a travaillé comme journaliste. Il a aussi consacré une trentaine d’années de son existence dans le milieu communautaire des quartiers centraux de Québec. Il s’est engagé dans la défense des droits et comme intervenant en santé mentale.
Aujourd’hui retraité et heureux grand-père, il poursuit une démarche d’auteur. Son premier livre, Le Cœur enveloppé, remonte à 2012.
Comment a germé l’idée du second livre? Quelle en est la trame de fond?
« Basse-Ville blues est d’abord une quête de soi inachevée, une tranche de ma vie qui s’est passée dans les années 1980. Mais je dirais que 80 % du contenu de mon récit autofictif réfère à des faits réels qui se passaient dans la basse-ville, avec ses nombreux clubs et bars louches qui ont pour la plupart disparus depuis. Et la petite prostitution y était florissante! Avec une part de naïveté, sans prétention, j’ai donc voulu dépeindre un genre d’instantané photographique d’une époque dans laquelle bien des gens de plus de 40 ans vont se reconnaître.
Dès le milieu des années 1960, et jusque dans les années 1990, j’ai été plongé dans ce monde un peu glauque… Une situation qui n’a fait qu’empirer mon “statut” d’alcoolique et pharmacodépendant, comme je le relate aussi dans Le Cœur enveloppé.
Entretemps, à la fin des années 1970, f’ai vécu une douloureuse séparation qui elle aussi est venue accentuer cet état de dépressif latent qui était le mien. Et comme je n’arrivais plus à remplir mes obligations de garde partagée (nous avions une fille), je me suis senti de plus en plus comme un père indigne… Un problème d’humeur et de gestion des émotions qui ne se règlera que beaucoup plus tard, autrement que par la psychiatrie traditionnelle que j’avais connue à Roy-Rousseau (1972-1974).
Pour en revenir à la trame de mon livre, je me suis inspiré du meurtre en 1979 de Lizette Bélanger, une prostituée et chambreuse assassinée sordidement dans une des chambres du bar Chez Richard. J’ai resitué en 1983 ce fait divers qui m’avait profondément touché. Cette fille-là a vécu ce que beaucoup de filles du milieu vivent aujourd’hui. Mon récit brode autour de mon enquête journalistique sur la petite prostitution, un pseudo-libre-choix qui comporte son lot de dangers. J’avais réellement fait une enquête publiée dans Le Soleil, en février 1983. Ma série d’articles est d’ailleurs annexée dans ma publication. »
« Mon histoire se déroule surtout dans ce qu’on appelait le quartier du Palais, soit le coin de la gare, de Lauberivière, du bord de l’eau et des rues Saint-André et Saint-Paul. C’était à l’époque l’un des coins les plus populeux de Québec, avec ses matelots, ses débardeurs et ses tavernes.
Le bar Chez Richard, qui a fermé vers 2005, était mon quartier général. Je demeurais à côté au début des années 1980. C’est là que bien des filles se sont retrouvées après la fermeture de l’hôtel St-Roch. Des clients de toutes sortes de corps de métier fréquentaient l’endroit. Une ambiance incroyable y régnait! Je suis allé là pendant presque 30 ans. J’étais comme un pair aidant pour les filles qui me faisaient confiance. Leurs confidences ont d’ailleurs beaucoup servi pour mon livre.
Dans mon récit, on parcourt aussi les rues de Saint-Roch, pour y reconnaître d’autre lieux fréquentés comme Le Petit Bedon. On retourne au bar Chez Richard et au travers de ça, on visite aussi le mail le premier du mois, avec toute sa clientèle colorée.
Souvenons-nous : André Arthur, à la radio, en avait fait le « Jour des millionnaires »! Il visait entre autres les chambreurs. Mais eux, qui étaient-ils? Souvent des anciens bûcherons, jobbeurs, des gens qui arrivaient du nord par train à la gare. Après deux ou trois cuites, ils se faisaient voler leur portefeuille et restaient au bar Chez Richard. C’est ainsi que le patron gérait le chèque de “bien-être” d’une vingtaine de chambreurs, leur laissant peu d’argent pour vivre, mais en leur fournissant quand même deux grosses bières par jour…
Je dois le préciser, en passant : la plupart des gens que je mentionne dans mon récit sont décédés. C’était de toute façon, à l’époque, des personnes bien connues du public. »
Tu fais donc aussi référence à plusieurs autres personnages…
« Oui, plusieurs! Je peux par exemple en nommer trois. Ange-Aimée-trente-sous, originaire de Charlevoix, était un personnage de légende, plus connue dans le temps, selon moi, que Mme Belley! Tout le monde la voyait partout… mais sans la voir. Elle se tenait Chez Richard, au mail, et avait son appartement sur la rue Saint-Paul.
Il y avait également Mme Thérèse, la patronne de La Grande Hermine. Une femme très humaine qui s’occupait bien de ses filles en jouant un peu le rôle de travailleuse sociale. Elle est devenue célèbre quand elle s’est mise à ouvrir des junks dans Montcalm, des endroits où on aimait aller jusqu’aux petites heures du matin après la fermeture des tavernes. Aussitôt que la police en fermait un, elle en ouvrait un autre!
Je parle aussi de Brigitte qui se tenait au Croissant d’or, un espèce de bar Chez Richard, mais dans Saint-Sauveur. Elle était comme un personnage burlesque qui dansait sur les tables… »
Quelles sont tes réflexions sur l’évolution de Saint-Roch en particulier?
« Le quartier a changé. On assiste à une gentrification assez évidente, qui a en partie chassé la population, mais qui a aussi entraîné son lot de bienfaits, si l’on compare à l’époque, pour ceux et celles qui l’on connue, de “Plywood City”. Saint-Roch a quand même conservé une personnalité qui lui est propre : c’est un quartier où l’on ne s’ennuie pas!
Ce que je trouve dommage, actuellement, c’est la construction du tramway qui va durer longtemps… Puis peut-être du troisième lien, qui risque d’éventrer encore une fois Saint-Roch. J’ai bien de la misère avec ça quand on se rappelle qu’on a perdu, dans les années 1970, le quartier chinois et la paroisse Notre-Dame-de-la-Paix, rasés par la construction de l’autoroute Dufferin. »
En quoi ton livre est important pour toi?
« Mon livre est illustré de dessins de mon ami, feu Marc Boutin, qui représentent des lieux comme le mail ou La Grande Hermine, mon préféré. Enfin, depuis ma dernière thérapie en 1999, moi et mon ex-conjointe on est redevenus de bons amis. Cette vie de famille retrouvée avec ma fille Camille m’avait solidement manqué dans les années 1980. Avec Basse-Ville blues, je lui laisse donc un peu de mes souvenirs, comme à mon petit-fils Élie. »
Récit de quelque 145 pages, Basse-Ville blues sera en vente en librairie au coût de 23,95 $ dès le 1er novembre. On peut toutefois déjà le commander auprès de l’auteur (gillessimard03@hotmail.com) ou sur le site des Éditions Crescendo.
À lire aussi : Saint-Roch 1973-2009 par Robert Fleury : À l’État de jouer !
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