1962 : la crise des missiles de Cuba à Limoilou

Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Aujourd'hui, il souligne un événement qui a profondément marqué sa génération même s'il se passait à Cuba.

1962 : la crise des missiles de Cuba à Limoilou | 19 décembre 2021 | Article par Monlimoilou

Page frontispice du journal Le Soleil. 23 octobre 1962.

Crédit photo: BAnQ - Le Soleil

Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Aujourd’hui, il souligne un événement qui a profondément marqué sa génération même s’il se passait à Cuba.

L’été de mes sept ans se terminait à peine. Le 11 septembre 1962, j’allais avoir huit ans. J’en étais à préparer mon retour à l’école.

Depuis quelques années, au cours de cette période, je ressentais une certaine mélancolie : c’était la fin des vacances d’été. Cependant, en raison de la célébration de nos anniversaires de naissance, à mon jumeau Richard et à moi, et surtout en raison du caractère ludique de l’Exposition provinciale, avec ses jeux et « amusements », qui se tenait tout près de chez nous, c’était une période de l’année avant tout excitante et festive pour nous.

Denis et sa famille nombreuse

Par un beau samedi matin frais et ensoleillé de septembre 1962, j’avais traversé la rue pour aller chez mon voisin Denis Renaud. Nous ne nous étions pas vus de l’été. Il avait probablement passé l’été chez des parents à la campagne, alors que nous devions, quant à nous, fréquenter le Patro Roc-Amadour. Au moment du retour à l’école, j’étais heureux de renouer avec mon voisin.

Tout était différent de chez nous, chez les Renaud. À commencer par le nombre d’enfants, dont plusieurs étaient des filles. C’était un objet de curiosité pour moi, qui vivais avec un seul frère. Chez les Renaud, Denis était l’aîné de sept enfants. Mais ses nombreux frères et sœurs le suivaient de près. Il y avait les jumelles Lise et Louise, puis Daniel, Nicole, Paule et finalement Jean, le cadet.

Déjà, en soi, il y avait de quoi me rendre curieux de voir ce groupe d’enfants cohabiter et vivre ensemble. Et puis, leurs parents étaient plus originaux que les miens. Ainsi, plutôt que de n’avoir qu’un chien, les Renaud hébergeaient aussi une chèvre. Elle était attachée à sa cabane dans un coin de la cour arrière. C’était assez particulier : il y avait déjà quelques années que les vaches et autres animaux de ferme avaient été évacués de notre secteur urbanisé, au coin de l’avenue du Colisée et de la rue des Peupliers.

Un son strident et traumatisant…

Je me souviens qu’à un moment donné, ce samedi matin, chez les Renaud, nous avions pu entendre une alarme de sirène qui hurlait à l’épouvante et qui prenait graduellement de l’intensité, jusqu’à envahir complètement notre espace sonore. À ma connaissance, c’était la première fois que j’entendais ce bruit assourdissant.

Alors que, moi, j’avais été traumatisé par cette alarme, mon ami Denis, quant à lui, ne semblait pas s’en faire. Même qu’il trouvait ça plutôt drôle. À la vue de mon visage apeuré, Denis m’avait suggéré de ne pas m’inquiéter. Il m’avait alors expliqué que ce n’était qu’un test pour s’assurer que la sirène fonctionnait bien et que l’alarme était audible partout dans le pays.

En fait, mon voisin Denis m’avait précisé qu’on avait disséminé de grosses sirènes partout dans le pays afin que tous puissent l’entendre. La nôtre était installée à côté du Patro, sur le toit de l’immeuble Coca-Cola (maintenant Natrel), sur la 1re Avenue, coin 25e Rue. Était-ce un simple hasard si on avait choisi ce bâtiment appartenant à Coca-Cola, un produit symbolisant l’Impérialisme américain?

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Denis m’avait aussi informé qu’au cours des prochaines semaines, des pratiques seraient tenues : dès qu’on entendrait la grosse sirène, où que nous soyons, nous devrions tous chercher un refuge sûr et nous cacher pour nous protéger des attaques des communistes et des bombes qu’ils nous lanceront.

J’étais « flagerblasté »! Je n’arrivais pas à comprendre comment il se faisait que, jamais, je n’avais eu vent, d’aucune façon, d’une telle situation extrême. Dans quel monde est-ce que je vivais? Je n’arrivais pas à y croire! Ça ne se pouvait pas. Alors, Denis, pour m’en convaincre, m’avait fait entrer dans sa maison et il avait demandé à sa mère de confirmer ce qu’il venait de m’expliquer.

Une attaque de bombes nucléaires?

J’avais aussitôt traversé la rue pour revenir à la maison et pour confronter mes parents avec cette nouvelle incroyable. Je ne pouvais pas croire qu’ils étaient au courant de cette grave situation et qu’ils n’avaient pas jugé bon de m’en informer.

Mon père était occupé à construire une galerie en bois devant la porte de côté de la maison. Comme mon oncle Raymond était avec lui pour l’aider, j’avais hésité à lui demander des explications sur cette sirène d’alarme. Devant le calme « énervant » qu’ils affichaient, j’avais préféré prendre un moment, histoire de me « recomposer », de me calmer.

Puis, après quelques minutes, j’étais retourné vers eux pour leur demander naïvement s’ils avaient entendu une alarme. Mon père m’avait répondu que oui, bien sûr, il l’avait entendue. Il devinait bien la suite. Je lui avais demandé si c’était une alarme générale, afin que nous cherchions tous refuge en raison d’une possible attaque de bombes nucléaires. Mon père avait, devant mon oncle, adopté l’allure d’un fanfaron en me répliquant que ce n’était qu’un test et qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter « pour l’instant »…

POUR L’INSTANT!! Mais comment pouvait-il réagir de façon aussi inconsciente en rapportant à plus tard l’éventualité d’une attaque nucléaire susceptible de nous anéantir? Je ne comprenais plus rien. Qu’est-ce qui s’était passé dans ma vie, au cours des dernières semaines, pour que je passe à côté d’une information si cruciale??

* * *

Cette année-là, les célébrations sur le terrain de l’Exposition provinciale n’eurent pas l’effet habituel sur mon moral. Les grands projecteurs lumineux de défense anti-aérienne, datant de la dernière Grande Guerre, qu’on utilisait en soirée pour éclairer le ciel de Limoilou, avaient perdu leur effet de célébration. Je scrutais le ciel et je craignais d’y voir apparaître des missiles.

Heureusement, la crise des missiles de Cuba s’était résorbée quelques semaines plus tard, à la fin octobre de cette même année. Je n’ai gardé que peu de souvenirs des exercices qu’on avait effectués en classe pour nous camoufler sous notre bureau, lorsque la fameuse sirène hurlait sa complainte apocalyptique.

Legs pour ses deux enfants et leurs propres enfants, D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs a fait l’objet d’un article sur Monlimoilou. L’histoire de famille et la vie de jeunesse de Denys Hawey, qu’il raconte en 426 pages enrichies de photos, est disponible exclusivement à la Librairie Morency.

Lire l’épisode précédent des souvenirs de Denys Hawey : Mes études collégiales au Petit Séminaire.

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