La grippe espagnole de 1918 à Québec – 2 de 3

La grippe espagnole de 1918-1919 va non seulement entraîner la mort de 20 à 50 millions de personnes sur l’ensemble de la planète, mais aussi rendre malade plus de 20 % de sa population. Retour sur cette autre crise qui aura tristement marqué l’histoire de notre ville.

La grippe espagnole de 1918 à Québec – 2 de 3 | 5 août 2020 | Article par Réjean Lemoine

L’Hôpital civique de Québec, situé sur l’avenue de la Canardière dans le quartier Limoilou, reçoit une centaine de malades de la grippe espagnole à l’automne 1918. Photo prise vraisemblablement à cette époque.

Crédit photo: Archives de la Ville de Québec

La grippe espagnole de 1918-1919 va non seulement entraîner la mort de 20 à 50 millions de personnes sur l’ensemble de la planète, mais aussi rendre malade plus de 20 % de sa population. Retour sur cette autre crise qui aura tristement marqué l’histoire de notre ville.

« Il n’y a pas de grippe espagnole à Québec. Cette grippe est simplement plus maligne que d’habitude. »
–  Docteur Arthur Simard, L’Action catholique, 27 septembre 1918.

De nombreuses mortalités signalées dès le 23 septembre

Québec compte en 1918 une population largement ouvrière, francophone et catholique, de 108 000 résidents. La majorité vit dans les quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch. Avec le retour des soldats du front durant l’été 1918, les villes de Québec et de Montréal se trouvent fortement touchées par l’épidémie de grippe espagnole, qui fera 3 500 morts à Montréal et 500 à Québec.

Les premiers cas de grippe sont confirmés dans la Vieille Capitale dès le milieu du mois de septembre. Le 23, les journaux signalent de nombreuses mortalités à Québec causées par ce fléau. Cent cinquante militaires seraient arrivés malades au port. Les premiers cas sont signalés à l’hôpital militaire de Québec, dans le Vieux-Québec. Neuf matelots décédés à cet endroit auraient été transportés à la morgue dans les rues de la ville sans que rien ne soit désinfecté.

Le coroner du district de Québec, le médecin Wilfrid D. Jolicoeur, est le premier à sonner l’alarme. Les médecins Arthur Simard du Conseil provincial d’hygiène et Charles-Rosaire Paquin, médecin municipal, rapidement contredisent le docteur Jolicoeur :

« Il n’y a pas de grippe espagnole à Québec. Cette grippe est simplement plus maligne que d’habitude. »

Cette polémique va durer une dizaine de jours pendant que l’épidémie se répand sournoisement dans la ville.

Les autorités politiques et sanitaires de Québec finissent tout de même par reconnaître la gravité de la situation. Dès le 2 octobre, plus de 1 000 militaires sont mis en quarantaine, d’abord à la Citadelle, ensuite dans un camp militaire situé au coin des rues Bourlamaque et Saint-Cyrille, puis finalement au Manège militaire, reconverti en hôpital temporaire. Le 8 octobre, le maire Henri-Edgard Lavigueur convoque les médecins de la ville à une grande réunion publique pour discuter des mesures à prendre. Les médecins proposent la fermeture des écoles, des églises et des lieux publics, de même que l’interdiction de toute réunion.

Seulement quelques magasins, tabagies et épiceries resteront ouvertes. Un service d’aide pour soutenir les familles pauvres est mis sur pied. Un appel spécial est fait auprès des dames qui suivent des cours de garde-malade et aux bénévoles féminins de l’Ambulance Saint-Jean et de la Croix-Rouge. On les invite à s’impliquer dans le combat contre l’épidémie.

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Tramways désinfectés, passants mis à l’amende, panique dans la ville…

Le docteur municipal Charles-Rosaire Paquin finit par admettre qu’on n’est pas devant un cas de grippe ordinaire. Le 4 octobre, il fait publier dans tous les journaux un avis public intitulé  « Conseil aux familles pour se protéger en temps d’épidémie ». Tous les malades doivent être isolés dans leur chambre et ne peuvent en sortir que lorsque les sécrétions de la grippe s’arrêtent. Tous les papiers et chiffons contaminés par le malade doivent être brûlés.

Le Dr Paquin recommande comme médicament les bains de pieds chauds, les tisanes, les sirops, les mouches de moutarde et les sérums antidiphtériques. Le jour même, la femme et le fils du maire Lavigueur tombent malades. Le fils meurt à l’âge de 25 ans; la panique s’empare alors de la ville. Pendant ce temps, à l’Hôtel-Dieu de Québec, 22 religieuses tombent malades.

Toujours le 4 octobre, l’Hôpital Civique de Québec, sur le chemin de la Canardière en face de l’asile de Beauport, ouvre ses portes pour soigner les contagieux. Grâce au soutien des communautés religieuses féminines, trois dispensaires sont ouverts dans la ville : l’édifice de la Providence dans le quartier Saint-Malo, l’école Saint-Maurice dans Limoilou et l’édifice des Sœurs grises dans la Haute-Ville. À partir du 14 octobre, les journaux  éprouvent des difficultés à publier à cause du trop grand nombre de malades dans leur personnel. Le réseau de tramway fonctionne difficilement, car un trop grand nombre de chauffeurs sont malades. On interdit les tentures et les décorations mortuaires, on ne sonne plus le glas des églises. Toutes les maisons infectées et les tramways sont désinfectés à la formaline. La police municipale émet des amendes aux passants qui crachent dans les rues. Du 7 au 20 octobre, la maladie dévaste la ville. Quotidiennement, l’épidémie fait plus d’une cinquantaine de victimes. Jamais les compagnies funéraires n’ont eu autant de mortalités à gérer…

Le dimanche 12 octobre, le Cardinal Bégin rend publique une déclaration où il autorise la suspension de tous les offices religieux. Il demande la protection de Dieu pour protéger la ville de Québec et le Diocèse des malheurs de l’épidémie. L’Église catholique plaide pour l’acceptation de notre sort collectif. Dans un éditorial, le journal L’Action catholique demande aux citoyens de Québec :

« Sachons accepter en chrétien l’épreuve quelque lourde qu’elle soit. Nos douleurs parce que chèrement supporter sont la monnaie dont nous payons notre place au ciel. Confions-nous à Saint-Roch, patron des épidémies. »

La Société de Saint-Vincent de Paul se voit confier la responsabilité de visiter les familles malades et de leur fournir des médicaments. Plusieurs centaines de familles, grippées et manquant de tout, se retrouvent sans médecin, sans nourriture, sans vêtement, sans lingerie, sans bois pour se chauffer et sans personne pour en prendre soin. Ce qui va pousser son président Charles-Joseph Magnan à déclarer :

« Les pauvres et la classe laborieuse ont constaté une fois de plus qu’à Québec les autorités civiques et l’élite de la société savent en temps opportun remplir le beau et noble devoir de la charité chrétienne. C’est là du vrai socialisme et dont la doctrine est celle même de l’évangile. »

Pénurie de produits essentiels

Pour fuir l’épidémie, comme beaucoup de personnes ont quitté la ville et que les cultivateurs et les laitiers ne veulent plus y revenir, les produits de première nécessité commencent à manquer dans les marchés publics. Le bureau municipal de la santé prend en charge la distribution du lait à travers les quartiers de Québec et encourage la consommation de poisson comme substitut à la viande. Des augmentations de salaire sont offertes aux pompiers et aux policiers qui désinfectent les maisons, transportent les cadavres et garantissent les premiers soins. Les syndicats réclament l’élargissement aux propriétaires du droit de vote – qui était jusqu’alors réservé aux employés de la ville – et surtout, un report des taxes municipales.

La grippe espagnole va sévir à Québec pendant plus de six semaines, soit de la mi-septembre au début du mois de novembre 1918…

Lisez la fin la semaine prochaine, dans l’épisode 3.

Retrouvez le premier texte de la série :
La grippe espagnole de 1918 à Québec – 1 de 3

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