Courez voir Antigone (au plus sacrant!)

Des adaptations d’Antigone, il y en a eu beaucoup, mais jamais comme celle-ci. J’ai été époustouflé par la constante inventivité de cette œuvre magistralement réalisée au Trident. Le billet vaut son prix, offrez vous-le, vous serez bouche bée!

Courez voir Antigone (au plus sacrant!) | 11 mars 2019 | Article par Émile Vigneault

Antigone au Trident

Crédit photo: Stéphane Bourgeois

Des adaptations d’Antigone, il y en a eu beaucoup, mais jamais comme celle-ci. J’ai été époustouflé par la constante inventivité de cette œuvre magistralement réalisée au Trident. Le billet vaut son prix, offrez vous-le, vous serez bouche bée!

Trappes, jeux d’éclairage hallucinants, chœur de rappeurs, rat géant, solo de guitare, capsule météo surréaliste et j’en passe, aucune surprise ne vous sera épargnée! Ce qui frappe dans cette production, c’est l’incroyable vitalité qui se dégage de chaque choix de mise en scène, signée Olivier Arteau, vitalité qui semble exacerbée par le contraste qu’elle crée avec la thématique de la pièce : la fin annoncée de notre civilisation, de notre humanité. Charlie Chaplin disait, dans Les feux de la rampe : « Il y a quelque chose d’aussi inévitable que la mort, et c’est la vie, la vie, la vie! »

Notre génération vit avec une conscience aiguë de l’imminence d’une rupture profonde au sein de la société. Il y a quelque chose de mourant dans notre culture et nous ignorons exactement quand et comment cela nous frappera, mais cette certitude nous paralyse en même temps qu’elle nous propulse. Ce n’est pas la première fois que nous sommes témoins de la fin d’un cycle. Pour quiconque, par exemple, a lu les auteurs russes de la fin du XIXe siècle, il est évident que bien avant l’avènement de la révolution bolchevique, les Russes avaient, sans que ce sentiment fut particulièrement précis où que cette chute soit définie, conscience d’être les témoins plus ou moins impuissants de la fin d’une époque.

Antigone : 2030? 2040? Qui sait… Le changement climatique a rempli ses promesses, chacun porte un masque à gaz, la Terre est exsangue, l’humanité chancelle au bord d’un gouffre dont elle ne sait rien. L’apocalypse? C’était hier, ce sera demain.

La pièce, réécrite entièrement par trois femmes – Pascale Renaud Hébert, Rébecca Deraspe et Annick Lefebvre – fait un lien brillant entre notre hantise collective et la fatalité inhérente à l’œuvre phare de Sophocle. Ce grand classique de la tragédie grecque, c’est l’histoire d’une femme qui veut offrir une sépulture à son frère rebelle malgré les ordres de son oncle Créon, roi de la cité de Thèbes, ville placée en état d’urgence, comme la France de Macron, comme le Québec de la crise d’octobre, comme les States toujours sous le joug du PATRIOT Act. Antigone refusera tout : les compromis, l’amour qui lui tend ses bras désespérés, la fuite, le pardon, l’exil et la vie. Non, pour elle, un monde qui refuse sa dignité à l’être humain n’est pas possible, et elle préfère mourir en assumant publiquement sa transgression des lois de l’État plutôt que de vivre en reniant tout ce en quoi elle croit.

Mais toute fin étrangement appelle à un commencement. Tel est d’ailleurs le sens de l’arcane numéro treize du tarot de Marseille, souvent appelée à tort « La mort », alors qu’elle n’a simplement pas de nom.

Il y a dans le travail d’Olivier Arteau cette fécondité, cet acte créatif et fondateur qui inspire et renouvelle.

Les actrices et les acteurs sont prodigieux tous et toutes : Joanie Lehoux dans le rôle titre, Jean-Denis Beaudoin (Hémon), Annabelle Pelletier Legros (Ismène) enceinte et rayonnante de vie, Lucien Ratio (Polynice), Réjean Vallée (Créon), Alexandrine Warren (Tirésias) et toute l’équipe du chœur. La mise en scène concentre en une litanie kinésiologique porteuse de sens les gestes fondateurs de chaque rôle.

Nietzsche a dit, à propos de l’opéra Carmen : « Où suis-je? Bizet me rend fécond. Tout ce qui a de la valeur me rend fécond. Je n’ai pas d’autre gratitude, je n’ai pas d’autre preuve de la valeur d’une chose. » Il y a dans le travail d’Olivier Arteau cette fécondité, cet acte créatif et fondateur qui inspire et renouvelle.

La production fait la part belle à des personnages souvent laissés dans l’ombre. On y découvre une Ismène forte, inflexible dans son désir rationnel et lumineux de vivre et de transmettre la vie malgré la tragédie, et un Hémon touchant qui, pour une obscure raison, me rappelle le personnage de Steve dans Mommy de Xavier Dolan (c’est un compliment).

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Comment passer sous silence le génie de l’équipe de scénographie? Gabrielle Doucet (décors), Hélène Pearson (costumes et maquillage), Jean-François Labbé (éclairages), Vincent Roy et Sarah Villeneuve-Desjardins (musique), Keven Dubois (vidéo) et Cécile Lefebvre (accessoires), épaulés par toute une équipe, nous offrent une Thèbes de science-fiction déjantée, débordante de possibilités et d’ingéniosité. C’est l’un des univers  les plus foisonnants et imaginatifs qu’il m’ait été donné d’apprécier. Le spectateur n’est jamais rassasié par l’inépuisable imagination des créatrices/teurs.

C’est incroyable : allez-y!

Donc voilà, je ne dis pas ça de chaque spectacle, profitez-en jusqu’au 30 mars 2019 au Théâtre du Trident, c’est incroyable : allez-y!

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