L’Art de la chute – quand l’économie s’immisce dans l’univers intime de l’art

Jen-Michel Girouard, Marianne Marceau, Danielle Le Saux-Farmer et Simon Lepage Crédit photo : Vincent Champoux
Jen-Michel Girouard, Marianne Marceau, Danielle Le Saux-Farmer et Simon Lepage
Crédit photo : Vincent Champoux

Sur une table à l’entrée, des livres d’art, et de finance. Il y a aussi un buffet, et j’ai pu me mettre un brocoli sous la dent, juste avant de pénétrer dans la salle du Périscope et de m’installer confortablement devant la scène, où trône une immense table de réunion. L’atmosphère est à la fête dans la salle. On sent une certaine fébrilité.

Le décor est assez sobre, dans des tons de gris d’habit d’homme d’affaires. En haut de scène, quatre écrans permettront à ceux qui ne comprennent pas l’anglais de suivre la traduction d’une grande partie des dialogues, les textes étant bilingues.

Le synopsis : Alice Leblanc est une artiste québécoise de 34 ans, paumée, en perte d’inspiration et se questionnant par rapport à sa démarche artistique. Elle part pour une durée de six mois à Londres grâce à une bourse qui lui permettra de donner un second souffle à sa carrière. Ce faisant, elle retrouve une ex-amoureuse employée d’une banque importante et dont le salaire annuel ferait défriser votre permanente. Celle-ci l’invite pour son anniversaire à une vente aux enchères d’objets d’art contemporain où elle fait la rencontre d’un richissime requin de la finance. La suite est assez prévisible.

Si vous êtes amateurs d’économie, des termes comme spéculation, CDO, NINJA ou CDS ne vous feront pas frémir. Pour les néophytes, des explications vulgarisées avec exemples quotidiens vous aideront à comprendre les rouages des manigances boursières.« Time to get rich, my friend! » est la devise de cette pièce où la réalité des magnats de partout à travers le monde percute celle de la populace ordinaire. L’art y est négocié comme de la marchandise, sans aucun intérêt pour la démarche artistique des artistes. Pire encore, la valeur de l’œuvre d’art, dont le prix est fixé par les acheteurs, en vient même à définir la valeur de l’artiste lui-même. Tout est dans l’œil de celui qui le paie.

Cette pièce, d’une durée de 2h40 avec entracte, s’étire quelquefois en longueur pour exprimer le propos principal, qui replace la confrontation entre des valeurs artistiques humanistes et des valeurs mercantiles dénuées de compassion au centre du débat.

L’utilisation des multimédias est ingénieuse et intéressante. Jean-Michel Girouard offre un jeu diversifié où s’enchaînent plusieurs personnages en très peu de temps et Michelle Le Saux Farmer, réaliste, expressive et animée, passe de l’anglais au français avec une facilité surprenante. La mise en scène de Jean-Philippe Joubert est efficace, mais le cafouillage répété des interprètes et les erreurs dans le délai ou dans les traductions à l’écran nous font décrocher un peu.

L’œuvre d’art en elle-même doit-elle sa valeur à la démarche individuelle de l’artiste ou au prix qui lui est imposé par les commençants et les acheteurs ? L’artiste vend-il son âme au diable en édulcorant sa démarche pour se soumettre aux aléas du marché ? La cote de l’œuvre, comme de l’artiste, est-elle à la merci du monde des affaires ? Quel est le prix de l’expression créatrice de l’artiste ?

À une époque où la faim dans le monde devrait être éradiquée depuis longtemps, entendre parler de profits aussi faramineux faits sur des œuvres d’art qui dorment au fond d’entrepôts est totalement crève-cœur. La richesse crasse et ses facilités, ses valeurs déshumanisées, son univers élitiste, qui pourtant a une grande influence sur le quotidien du commun des mortels, est dégoûtante. Ce récit, faisant la critique (tout comme, dans une certaine mesure, l’éloge) de la superficialité, laisse songeur.

La pièce L’Art de la chute est présentée au Périscope du 4 au 22 avril.

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