Comme un conte de Noël

Boréal Express
Image tirée de la bande-annonce du film Boréal Express de Robert Zemeckis.

24 décembre 1956. Tôt le matin, une neige abondante commença à tomber sur Limoilou. À midi, le vent se leva.

« Préparez- vous à une grosse tempête en cette veille de Noël », annonça Saint-Georges Côté à la radio de CKCV. Mon père, qui était cheminot au Canadien National, devait revenir de Chicoutimi vers 17 h. Il serait avec nous pour le réveillon.4e Avenue. Hiver 2007-2008. Photo : Jean Cazes.Mais la poudrerie du matin s’était changée en blizzard. En début d’après-midi, on voyait à peine les maisons de l’autre côté de la 4e Avenue.« Le train de papa va-t-il rester pris quelque part ? » demandai-je à maman.

Ben non, c’est fort, un train, rien ne peut l’arrêter, surtout pas d’la neige. S’il le faut, ils vont mettre une charrue à neige devant la locomotive. Inquiète-toi pas, mon gars. Ton père en a vu, des tempêtes. »

Mais le temps passait vite. Il était bientôt 19 h et le train de mon père n’avait pas encore sifflé. C’était une sorte de tradition que papa avait instaurée. Quand son train passait à proximité du parc Ferland, l’ingénieur de locomotive actionnait deux fois le sifflet de son engin, deux petits coups que nous entendions de chez nous. Ça voulait dire : « Je serai à la maison pour le souper. »Je commençais à être inquiet. Comme un enfant à l’imagination trop fertile, je me faisais les pires scénarios. Et si le train avait déraillé ? Et s’il était resté immobilisé par la neige et que tout le monde à bord avait péri de froid ? Et si…Maman me rassura en me disant que le train avait sûrement pris du retard à cause du mauvais temps, mais c’était en vain. Rien ne pouvait arrêter les films catastrophe qui jouaient dans ma tête.

Plus le temps passait, plus mon cinéma catastrophe s’animait. « Encore la folle du logis », me dit ma mère, exaspérée.C’est ainsi qu’elle nommait mon imagination, une expression bizarre que je ne comprenais pas.

À 23 h 30, nous sommes partis pour l’église Saint-Fidèle. Sans nouvelles de papa, la cérémonie liturgique serait longue. Maman et ma sœur aînée essayaient tant bien que mal de cacher leur inquiétude en affichant une ferveur religieuse que je ne leur connaissais pas.Au milieu de la messe, j’entendis deux petits coups de sifflet. C’était le train de mon père, j’en étais sûr.

Avez-vous entendu ? ai-je demandé à maman. C’est le sifflet du train. Papa est arrivé. Il va être avec nous autres pour le réveillon. »Tu rêves, mon gars, me répondit maman. Je n’ai rien entendu. Tu t’imagines encore des choses. Tu ferais mieux de prier. »

Ma sœur non plus n’avait rien entendu.« Voyons donc, me dit-elle d’un air agacé, tu fabules, frérot ! » Maman et ma sœur avaient sans doute raison. J’avais rêvé. Je me remis à imaginer le pire.Quand la messe fut terminée, c’est d’un pas lourd que je suivis ma mère et ma sœur vers la sortie. À l’arrière de l’église, j’aperçus un homme qui avait la carrure de papa. Il nous fit un signe de la main. C’était bien lui. Transi, il avait l’air épuisé. Il avait marché dans la tempête de la gare de Limoilou jusqu’à Saint-Fidèle.

Ce fut un beau réveillon et le lendemain, un magnifique Noël blanc en famille. Je n’avais pas rêvé.

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